Chroniques d'un libraire désenchanté
Hop hop debout de bon matin (lalalalala), c'est à dire à 9h, pas
fatigué, ça fait tout juste une semaine que j’ai commencé, j'arrive enfin à
gérer mon emploi du temps et l'heure de fermeture que je fais, 23h.
Je me lève donc, enfile mon peignoir jaune (oui, mon peignoir
est jaune) et attends patiemment que mon méchant monsieur arrive pour me faire
un câlin - un câlin de méchant monsieur, ça se refuse pas.
Midi déjà, je saute dans la voiture de papa (vive la voiture de
papa, et papa aussi, qui la conduit, ce qui n'est pas négligeable), saute dans
la gare puis dans le train et me rend tranquillement aux Halles. Je gère plutôt
bien, je suis content : pas fatigué, alors que je ne mange rien depuis trois
jours, je marche fièrement, heureux d'aller travailler. Wouahouh !
Je marche tranquillement, évitant les horribles personnages qui,
prônant fièrement des étendards de solidarité et d'aide dans le monde,
n'attendent que de me soutirer de l'argent, les taxeurs de clopes, beaucoup
trop nombreux, les vieux et les enfants.
Je pénètre dans le Marais et observe une vieille qui insulte un
motard et des automobilistes en arrêt. Ma parole, les gens sont fous.
Je me dirige vers ma librairie, pose mes affaires et commence le
boulot, et là, l'extase : je me rends compte, je suis heureux de bosser ici. Un
peu comme un rêve. Et je rêve diurne et je rêve diurne... Un client s'approche
et me demande :
"- Est-ce que vous avez des séries TV, me demande-t-il.-
Oui, bien entendu. Queer as Folk..., répondis-je.
- Non, déjà vu.
- Nous avons aussi L Word, une très bonne série lesbienne...
- Non, je veux pas des lesbiennes, c'est pas mon truc."
Là, je me demande, mais qu’est-ce qu’il veut, ce con ?
"Des séries avec du cul, précise-t-il."
Si j'avais su, je l'aurais emmené direct au rayon porno.
Mais comme il s'agit avant tout d'une librairie, certains
clients viennent nous voir pour nous demander avec toute la gentille du monde :
"- Le livre sur les gros zizis, s'il vous plait.
- "The Big Penis Book,
il est juste derrière vous monsieur."
Les gens sont étranges. Ou alors c'est moi qui suis bizarre...
Mais ces gens, on s'y attache. Ou plutôt, pour une brochette de
personnes étranges, de malades pervers nous tournant autour, de gens qui
parlent mieux anglais que nous - ou plutôt, de gens qui parlent anglais, alors
que moi non -, de parfaits saligauds pensant que nous ne sommes non pas des
humains mais des machines à passer à la caisse, à demander machinalement les
sous avec un gentil sourire et à dire "merci à vous, bonne soirée, bonne
lecture", nous trouvons quelques personnes adorables avec qui nous
souhaiterions refaire le monde. C'est à dire refaire les personnes étranges,
les anglais et les salauds de passage.