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ô café culture
24 décembre 2008

Chroniques d'un libraire désenchanté

 Ce matin, en me réveillant, je me dis, et merde ! c’est Noël, encore. Encore, une fois par an, pendant trois jours. Et merde, c’est Noël. En tentant de me lever du lit, mon pied glisse sur le chausson en forme de Mickey offert par tatie Agathe il y a un an, et je me ramasse le nez par terre. Et merde, c’est Noël. Je me dis qu’il vaudrait le coup de décorer mon bambou. Demain, peut-être. En attendant, je dois être à dix heures à la librairie et je suis en retard, parce-que je n’arrive pas à me remettre de ma chute à cause d’un putain de chausson en forme de Mickey offert par tatie Agathe pour Noël dernier. Je fais glisser ma pauvre carcasse jusqu’à la cuisine, allume le café froid de la veille et me balance sous la douche. Eau froide. Et meeeeerde, c’est Noël ! Je saute hors de la douche, mal de crâne, et je me dis que j’aurais sans doute mieux faire de rester dans mon lit, ou de virer depuis longtemps ces putains de chaussons de Noël, en me déculpabilisant de leur charge affective. Je n’aime pas Tatie Agathe, elle me caresse toujours les fesses quand je la vois, pour Noël, depuis cinq ans. Je sèche ma peau saupoudrée à la chair de poule et entend mon café cramer. Je n’en ai plus d’avance. Forcément, c’est la merde de Noël.

 Je m’assois au creux de la chaise d’ordinateur qui décide de péter au même moment, et je me ramasse la gueule par terre. Dépassé par les événements, je décide d’être malade et de ne pouvoir quitter l’appart sans recommandation d’un médecin. J’appelle la librairie et tombe, ô grand malheur, sur Sa Noblesse Bartholomé, dont la voix me donne une insatiable envie de vomir, ce qui tombe bien, pour quelqu’un de malade, au final. « Malade ? Comment ça malade ? Comment ça deux heures de train ? Tu ne viendrais pas travailler ? Il n’y a personne pour remplacer les ré-ce-ptions, juste toi ce matin. J’ai trop de travail. C’est une plaisanterie ? Je vais appeler le patron. » Et là, vous sauvez votre place, vous assurez que même dégueulant vos boyaux, vous viendrez, quoi qu’il en coûte, que votre vie c’est la librairie, que jamais vous ne pourriez leur poser aucun problème, et que jamais, ô grand jamais, vous ne pourriez laisser Bartholomé seul, ne serait-ce une heure, car, et ça vous ne le dites pas, vous jouissez à chaque fois des conséquences de votre présence seule sur le premier vendeur qui, vous le savez, vous déteste comme à la prunelle des yeux de tatie Agathe. Alors bon, vous ferez un effort, parce-que vous ne voulez pas que cet être infâme soit à l’origine de votre licenciement.

 On se rend donc tranquillement dans la cuisine, on boit son café bouilli sans faire la grimace, on se rend compte qu’on n’a plus rien à manger, à part ce fameux morceau de pizza froide qu’on imagine n’exister que dans les films. On décide qu’il est l’heure de partir, que votre bus ne vous attendra pas plus aujourd’hui qu’hier, et on se rend compte qu’on a perdu les clés, qu’elles ne se trouvent pas dans la petite boîte à clé disposées dans le recoin droit de la cuisine, alors on est en retard, et, de toute façon, c’est déjà trop tard pour tenter de le rattraper. Alors on inventera quelque chose, un truc, comme toutes les fois d’avant.

 Personne n’avait prévu que le bus se rendant à la gare serait victime d’un mauvais bouchon, et aucun de nous n’aurait pu savoir que le train aurait du retard, s’arrêterait une bonne demi-heure avant de repartir d’une cadence à faire frémir les plus farouches escargots. Non, personne. Alors, si je suis effectivement en retard d’une heure, ce n’est réellement pas de ma faute. Pour une fois.

 

 Aucune réception aujourd’hui. Bartholomé s’est bien foutu de moi. Il m’oblige donc, avec son sourire narquois, à nettoyer à l’aide d’un petit chiffon chaque livre de la librairie, car la poussière vole et s’insère dans chaque recoin de chaque ouvrage. Tu ne peux décemment pas vendre un livre abîmé par les malversations du temps ; où mets-tu donc ta tête ? D’accord. Balayette dans la main droite, morceau de tissu dans l’autre, j’observe son visage jouissif de domination alors qu’il passe ses coups de fil personnels : « Allô, tata Agathe ! Joyeux Noël ! J’ai adoré tes chaussons ! Tu devrais me voir, ils me vont très bien ! ».

 Au milieu de l’après-midi, je décide qu’il est temps de faire mes achats de Noël, et mets des livres de côté. Bartholomé quitte la caisse et accourt vers moi en poussant des petits cris étranges. Il a le visage déformé. Certes, pas très beau à l’origine, ses cernes n’ont fait que se creuser d’avantage, sa bouche s’est ouverte de travers, ses yeux sortent des orbites, on dirait qu’il a perdu des cheveux et que sa peau est devenue verte. C’est moi qui délire ? « Maiiiiiis que fais-tu donc ??? Tu ne vas tout de même paaas acheter des livres le jour de Noëëëëël, le jour où nos pauvres clients vont peut-être venir ici pour acheter ce livre ?! Que leur dirons-nous dans ce cas ? Un de nos vendeurs a acheté le dernier il y a une heure, ne revenez jamais ?! Laisse ces livres, je vais te faire un tas de ceux que tu peux acheter. Mais va donc t’occuper de la caisse ! Tu vois bien qu’il y a des clients qui attendent ! Quel empoté… » Eh bien, si vous êtes de ma famille ou couchez avec moi, il est nécessaire que vous sachiez que vous recevrez tous un exemplaire du Petit Parfait, le livre que Bartholomé se vante d’avoir publié et qu’il tente de refourguer à tout le monde.

 À dix-sept heures, je prends mes affaires, envoie un très violent Joyeux Noël à Bartholomé qui ne me répond ni ne me regarde, appelle ma famille pour les prévenir que je serai en retard pour la soirée de Noël : « Je dois passer chez moi faire un truc, j’arrive direct après », rentre à l’appart, vais dans ma chambre, prends les chaussons Mickey et les balance au vide-ordure, en me disant que plus jamais, ô grand plus jamais, je n’accepterai les cadeaux immondes de tatie Agathe.

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Commentaires
A
Excellent, je suis mort de rire en te lisant.
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