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ô café culture
8 novembre 2008

Chroniques d'un libraire désenchanté

 Les Parisiens, et j'entends par là les gens qui détiennent un logement sur Paris, ont toujours l'impression que tout le monde vit à un quart d'heure maximum du travail et n'en reviennent pas de leur étonnement lorsqu'on dit gentiment, comme à chaque fois, « j'habite en banlieue.

- En banlieue ? Là où ça brûle ? » En cet instant, on ne rêve que d'une chose : leur cracher dessus en hurlant bien fort que non, la banlieue ça brûle pas et que vous devriez sortir de votre trou à rat parce-que Paris ne vit pas en autarcie ! », mais évidemment on se retient, parce-que c'est le patron qu'on a en face de soi et qu'un patron ça embauche, certes, mais ça vire aussi.

 Quand on ajoute qu'on vit dans une cité, ils comprennent une « cité !!?? » et se mettent à trembler en me demandant comment je fais pour rentrer seul le soir sans me faire agresser dans la nuit. Oui, parce-que la banlieue, ça brûle en continu mais, malgré la lumière des bûchers de voitures dans les rue, il fait continuellement nuit et des gens nous agressent sans arrêt. Allez y comprendre quelque chose.

 Alors on rassure, on se glorifie, on dramatise parfois, juste pour jouir un peu de leurs réactions parisiennes : « J'ai une heure et demi de trajet, et le soir comme je n'ai pas de bus, j'ajoute une demi-heure de marche à pieds. C'est vrai, c'est assez dangereux, et j'ai déjà vécu quelques agressions, mais le principal c'est d'arriver entier, ou en un seul morceau du moins ».

 

 Évidemment, les jours de grèves de la SNCF, on est presque fier d'arriver en retard pour pouvoir dire « cette fois-ci je ne suis pas responsable », mais de toute évidence la veille on a déjà utilisé cette excuse en évitant les responsabilités : « je suis en retard, c'est vrai, mais le train est resté bloqué une demi-heure à Vert-des-Maisons ». Qui connaît Vert-de Maisons ? Certainement pas le Parisien. Or, les jours de grèves, on n'est pas aussi détendu lorsqu'on est vraiment coincé à Vert-de-Maisons puisqu'on se dit que l'excuse de la grève ne passera pas deux fois de suite, alors on stresse et on attend. On appelle le patron qui n'est pas très coopératif lorsqu'on lui explique qu'on a des problèmes de train et on attend, encore moins détendu. Si j'avais su, je n'aurais pas passé ce coup de fil.

 Arrivé à la librairie, personne ne m'accueille les bras ouverts pour recueillir les larmes qui coulent de mes yeux parce-que ce trajet était si épineux et tellement jonché d'obstacles, ou, plutôt, ne viens sécher la sueur qui dégouline de mon front parce-qu'il faut bien l'avouer, j'ai fumé une clope en courant, histoire de m'essouffler un peu plus.

 

 Je n'ai rien contre les grèves, je soutiens même l'initiative. Ce que je ne soutiens pas, ce sont les gens qui persistent à prendre le train et à me gêner en le faisant. Et encore, je reste poli en ces situations : je reste stoïque, accroché à mes écouteurs comme à la prunelle de ma vie. Mais eux, eux, les gens quoi, ils se bousculent, se marchent dessus, s'engueulent, s'injurient, « et tu peux pas avancer, connard ? », « va te faire foutre, salope ! » et ils rejettent toujours la faute sur les autres : « pourquoi vous avancez pas ? y'a plein de places en haut ! », « non, Madame, il n'y a plus de place, les gens sont serrés », « mais si, il y a des places, je le ai vu ! », « eh bien, allez-y si vous voulez », « je ne peux pas y aller s'ils n'avancent pas ! ». Et cinq minutes avant d'arriver à quai, dans un gare quelconque, ceux de l'étage qui veulent descendre, comme lors d'un jour habituel sans période de pointe et sans période de grève, ne voient aucun problème à descendre bien avance pointer devant la porte du train alors que nous, qui sommes devant la porte du train, n'avont pas assez de place pour poser le second pied. Pire, incompréhensible, chaque fois que le train s'arrête et laisse descendre des gens, ce qui suppose donc que la masse volumique humaine du train en marche diminue, nous sommes plus serrés que jamais, comme si certains vicieux profitaient du mouvement général pour descendre de l'étage sans pour autant sortir du train, dans le but unique de nous empêcher de respirer.

 Ça, les Parisiens n'en ont pas conscience, ils ne réalisent pas l'état émotionnel qu'un simple voyage en train peut nous causer. Et quand ils nous disent, avec la plus grande sincérité du monde, « c'est quelle couleur ton train ? La jaune ou la verte ? », il ne s'aperçoivent pas que le soir, heure de pointe, jour de grève, nous, on ne pense même pas à la couleur de notre RER, nous, les non-parisiens.

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